La journée de mardi le 2 mai 1972 devait être une grande fête, celle de la commémoration pour l’Église pentecôtiste de Mugara, branche de Mutambara. Mais les choses tournèrent au vinaigre. Un groupe de soldats, très nerveux, attaqua les fidèles à l’intérieur de l’église, tuant sur place cinq évangélistes. Dans l’incapacité de procéder à leur inhumation, il ne restait plus qu’à les enterrer dans une fosse qui avait été utilisée pour la fabrication des briques.
Une journée inoubliable pour les fidèles de l’Église pentecôtiste de Mugara à Mutambara, en zone Gatete de la commune et province Rumonge. Dans sa mission d’enquêter sur les crimes de 1972, une équipe de la Commission Vérité et Réconciliation, CVR, conduite par le Commissaire Aloys Batungwanayo, responsable de la sous-commission ayant les enquêtes dans ses attributions, s’est rendue le 14 octobre 2020 à cette église pour se rassurer de l’information.
Des témoins n’ont pas tardé à se confier à la CVR pour faire la lumière sur ce crime resté vivace dans la mémoire des chrétiens de cette église, 48 ans après les faits. Selon eux, ce jour-là, un groupe de soldats burundais s’est introduit dans l’église, demandant aux fidèles, en plein culte, de sortir. Tous furent rassemblés sous un manguier situé à l’intérieur de la cour de l’église.
Sans sommation ni explication, cinq évangélistes, dont un certain Abednego, le Pasteur de cette église, furent abattus sur place.
D’autres victimes à déplorer furent un nommé Samvura, originaire de Kagongo, qui était venu rendre visite aux serviteurs de Dieu de l’Eglise pentecôtiste de Mutambara. Il y eut aussi un certain Ananias, chef de chœur de l’église ainsi qu’un nommé Osée. Les témoins survivants ont cru que les soldats allaient tuer un grand nombre de fidèles, mais comme ils avaient des fusils rechargeables, certains ont pu s’échapper du carnage, grâce à Dieu.
Seules les femmes sont restées à cet endroit après la tuerie. Ainsi, elles ont tout fait pour rassembler les corps des victimes et les déposer à l’intérieur de l’église après le départ des soldats. Selon les témoins, la situation sécuritaire n’était pas encore favorable pour procéder à l’inhumation des victimes. Les massacres ont continué dans cette zone durant plusieurs jours.
La même situation a également été signalée à l’Église pentecôtiste de Mugara-centre où des chrétiens qui pensaient pouvoir sauver leurs vies en trouvant refuge à l’église, furent également attaquées par des militaires. Même scène qu’à Mutambara. Les hommes en prière furent forcés de sortir pour être abattus à l’entrée de cette église.
Des témoins ont rapporté à la CVR que fuir dans des églises émanait des enseignements fournis à l’époque selon lesquels quiconque trouve refuge à l’intérieur d’une église doit être sauvé La situation est devenue irréelle, car les soldats de l’époque avaient reçu l’ordre de tirer sur toute personne qu’ils considéraient comme un danger pour le régime du Colonel Michel Micombero.
C’est ainsi qu’ils n’ont pas eu peur de violer des lieux saints en procédant à l’élimination physique des hommes retirés des églises, dont la plupart n’étaient même pas au courant de la cause de leur assassinat. Ces propos sont sortis de la bouche des témoins rencontrés dans la zone Kigwena, toujours dans la commune et province de Rumonge.
Des églises devenues des lieux de meurtre
A Kigwena comme ailleurs, des hutus qui n’ont pas fui vers les églises ont été attaqués et tués chez eux par des soldats. C’est ce qui a été rapporté par des sources recueillies sur la colline Nyagasaka, en zone de Buruhukiro, à Gitanga et à Gitwenzi.
Ici, la CVR a dénombré au moins 124 personnes tuées, victimes de la crise de 1972. Leurs corps ont été jetés dans des tranchées tout près de la chapelle de Nyagasaka, succursale de la paroisse Muzi. Les auteurs de ces crimes, comme l’ont rapporté les survivants, étaient des militaires qui étaient parfois accompagnés de jeunes du mouvement JRR du parti UPRONA.
Ces crimes atroces perpétrés par les militaires ne sont pas signalés uniquement dans la zone Mugara. Des hutus, hommes et femmes invités à nettoyer le marché de Rumonge à la même époque, furent massacrés de manière inhumaine à l’aide des fusils, des lances et des machettes, près de la rivière Murembwe. Le nombre de victimes reste inconnu jusqu’à ce moment, déplorent des témoins qui ont précisé à la Commission que les corps des victimes ont été jetés dans la rivière.
Et ceux qui n’ont pas subi ce sort, ils ont fini leur vie dans une fosse commune renseignée à la CVR à l’intérieur de l’usine « SAVONOR » installée au bord de la rivière Murembwe. Sur place, les informations fournies par le personnel de cette usine ont confirmé que des ossements y ont été retrouvés et que la direction de l’usine a jugé bon de collecter ces os et de conserver dans un lieu sûr.
La province de Rumonge a été gravement touchée par la crise de 1972, a déclaré Consolateur Nintunze, Gouverneur de Rumonge, le 16 octobre 2020, lors de la clôture provisoire des activités de la CVR dans cette province. Pour cette autorité, les souvenirs de la crise de 1972 ne doivent pas être une cause de vengeance, mais plutôt de réconciliation en vue du développement de la province.
Au cours de ses trois phases d’activités qui ont duré six semaines pour la période du 24 août au 16 octobre 2020, la CVR a exhumé au moins 813 personnes dans la province de Rumonge et 489 autres personnes dans la commune de Nyanza-Lac de la province de Makamba.
Le Président de la CVR, Amb. Pierre Claver reconnaît cependant que ce nombre n’est pas exhaustif car il y a des victimes dont les corps se sont transformés en boue, tandis que d’autres ont été aspergés de carburant et réduits en cendres. C’est le cas de deux fosses communes excavées au terrain de football de Minago et au marché de Minago.
Willy Ntakarutimana
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