La mémoire des victimes enfin honorée

La mémoire des victimes enfin honorée

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Du 27 au 29 avril 2025, la Commission Vérité et Réconciliation a mené une importante mission dans les provinces de Gitega, Mwaro, Muramvya, Ngozi et Kayanza avec comme objectif : recueillir les témoignages des familles endeuillées par les multiples crises qu’a connues le Burundi entre 1885 et 2008. Cette démarche fait suite à la campagne d’affichage des listes des victimes opérées dans ces provinces en date du 24 au 25 avril 2025 pour rendre public les résultats du recensement qui avait eu lieu en décembre 2024.  Cette série des opérations s’inscrit dans un processus de connaitre la vérité partagée afin d’arriver à la réconciliation nationale.

Des communes traumatisées par l’histoire

Les témoignages recueillis dressent un tableau sombre des violences perpétrées dans ces régions suite aux crises notamment celle de 1993. Les communes de Bukeye, Matongo et Kayanza, qui sont à la proximité de la réserve naturelle de Kibira ont constaté un facteur aggravant. Cette forêt dense est devenue à la fois un refuge et un piège mortel pour de nombreux habitants. Certains y ont été enrôlés de force dans des mouvements rebelles, tandis que d’autres y ont perdu la vie, soit exécutés sommairement, soit succombant aux conditions de vie extrêmes.

L’affichage des listes : un moment solennel où les victimes sont honorées. Madame Donathe Ndayishimiye de la commune Bukeye, province de Muramvya, observe avec recueillement ce témoignage de mémoire collective.

Ndayishimiye Donathe de la colline Gaharo en commune Bukeye raconte avec émotion la perte de 12 membres de sa famille lors d’une attaque menée le 1er janvier 1994. « Un groupe de criminels, connu sous le nom de « Sans Échec », accompagné de militaires, a fait irruption sur notre colline. Ils ont tout pris : nos vies, nos terres et notre bétail. »

Gatara : une commune au destin particulier

Si la crise de 1993 a touché l’ensemble du pays, la commune Gatara a connu une intensification des violences entre 1996 et 1999. « La situation était différente à Gatara, » explique Nibitanga Ferdinand, fonctionnaire résidant au chef-lieu de la commune. « Les affrontements entre l’armée burundaise et les rebelles ont provoqué de nombreux massacres de civils pris entre deux feux ». La zone Ngoro, notamment, a été particulièrement touchée par ces violences, contrairement au chef-lieu de la commune qui a été relativement épargné, a-t-il indiqué.

Nibitanga Ferdinand, de la commune Gatara (province de Kayanza), témoin des violences et des enrôlements forcés durant la crise de 1996-1998. Une période marquée par les affrontements entre l’armée et les groupes rebelles, laissant des cicatrices profondes dans la mémoire collective burundaise.

Cette réalité complexe souligne la nécessité d’une approche nuancée dans le processus de réconciliation nationale. Chaque commune, chaque zone, chaque colline a son propre histoire de souffrance qui mérite d’être entendue et reconnue.

Reconnaissance et réparation : les attentes des survivants

L’affichage des listes des victimes dans les bureaux provinciaux et communaux est unanimement salué par les témoins rencontrés. « Ces listes font renaître l’histoire que nous avons vécue, » confie Banyedetse Hermes, un sexagénaire de la colline Mvunvu, dont la mère a été tuée lors d’une attaque rebelle en 1998. « Cela montre que le pays reconnaît enfin les moments difficiles que nous avons traversés. »

Pour Nyabenda Godelieve, qui a perdu cinq membres de sa famille dans la crise de 1998, l’affichage des noms est un premier pas vers la réhabilitation. Mais elle attend davantage : « J’espère qu’un jour l’État tiendra compte des familles des victimes. La reconnaissance est importante, mais la réhabilitation l’est tout autant. »

Au chef-lieu de Kayanza, le cas de Vyerimbere Bonaventure illustre la complexité des disparitions. Son frère, pilote à l’aéroport international de Bujumbura, a disparu en 1993. Malgré leurs recherches, la famille n’a jamais retrouvé sa trace et a même été menacée lorsqu’elle tentait d’obtenir des informations. Aujourd’hui, ils espèrent non seulement connaître la vérité, mais aussi clarifier la situation financière de leur proche disparu.

L’affichage des listes commémoratives, ici porté par Vyerimbere Bonaventure de la commune et province de Kayanza, symbolise la reconnaissance de l’État envers les familles des victimes. Un geste porteur d’espoir pour une réhabilitation future, ancré dans la mémoire collective.

La réconciliation est un processus long et complexe qui exige avant tout la découverte de la vérité. Si tous les témoins s’accordent sur la possibilité d’une réconciliation nationale, ils insistent également sur la nécessité d’une indemnisation pour les familles des victimes, aujourd’hui plongées dans une misère profonde.

L’affichage des 57 159 noms recensés par la Commission Vérité et Réconciliation représente un geste symbolique fort qui pourrait annoncer, à terme, une véritable politique de réparation. Pour l’heure, ces listes rappellent à tous les Burundais l’importance de la mémoire collective et la nécessité de bâtir une société où de telles tragédies ne se reproduiront plus.

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