Après l’affichage des listes des victimes dans les provinces du pays, la Commission Vérité et Réconciliation a collecté les témoignages des familles endeuillées. Entre demandes de réparation et appels à la réconciliation, ces voix révèlent l’ampleur du travail qui reste à accomplir.
Du 19 au 23 juin dernier, une équipe de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) s’est déployée sur le terrain, accompagnée d’un nombre restreint de journalistes. L’objectif: collecter les témoignages et doléances des familles des victimes qui ont perdu les leurs durant les différentes crises cycliques que le Burundi a traversées.
Cette mission d’écoute fait suite à l’affichage des listes de victimes dans les provinces de Bubanza, Bujumbura, Bururi, Cibitoke, Cankuzo, Rumonge, la Mairie de Bujumbura et la commune Mutimbuzi. Au-delà de la collecte de témoignages, ce travail de proximité vise également à évaluer l’impact de la mission de recensement et à recueillir les opinions de la population sur les attentes de la part de la Commission Vérité et Réconciliation.
Entre réconciliation et demandes de réparation
Dans la province de Bururi, l’affichage des listes et la collecte des témoignages ont révélé des attentes fortes de la part des familles endeuillées. À travers les communes de Mugamba, Matana et Rutovu, une même revendication ressort: la nécessité d’une réparation et d’une indemnisation, même symbolique, pour les familles de victimes.

Pour Nimbona, résidant de la colline Nyamugari, sous-colline Nyabibondo, zone Nyamugari commune Mugamba, le génocide de 1972 a emporté son père et son frère dans une attaque qu’il attribue aux voisins. Alors que la paix et la sécurité règnent aujourd’hui dans le pays, marquant un progrès vers la réconciliation, les familles des victimes aspirent à un soulagement, même posthume.
La reconnaissance du crime, préalable au pardon
Nibona Cyprien, de la commune Mugamba, souligne l’importance symbolique de l’affichage des listes de victimes. « Une fois les victimes affichées, les bourreaux reconnaissent que le mal qu’ils ont commis n’a pas été oublié », explique-t-il. Cette reconnaissance du crime constitue, selon lui, le chemin vers la réconciliation par la demande de pardon.
La crise de 1972 lui a coûté la vie de son grand-père, de son père et de ses deux oncles, arrêtés à domicile et jamais revenus. Pour cet homme marqué par l’histoire, l’établissement d’un cadre de dialogue demeure essentiel: « Si les gens ne se parlent pas, cela peut engendrer des désaccords. »
Des voix politiques plaident pour une meilleure accessibilité.
À Matana, la Commission Vérité et Réconciliation a échangé avec le sénateur Barutwanayo Jean Bosco, élu dans la circonscription de Bururi et résidant de la zone Gisarenda. Ayant lui-même perdu 12 membres de sa famille lors du génocide de 1972, dont ses oncles et son père, il accueille avec enthousiasme le travail « salutaire » de la commission concernant la reconnaissance de l’histoire douloureuse du Burundi.

Cependant, il pointe une limite importante: l’affichage des listes uniquement dans les bureaux des provinces, communes et zones reste insuffisant. « La population et les familles de victimes ne visitent ces endroits que pour des documents administratifs ou des litiges », observe-t-il. Vivant majoritairement dans les collines, ces familles mériteraient selon lui que les listes soient également affichées au niveau des bureaux des conseillers collinaires.
Vers une approche globale des réparations
À Rutovu, dans la même province, les familles de victimes constatent avec satisfaction que les Burundais, malgré leurs différences ethniques, vivent désormais dans la paix et cohabitent pacifiquement. La sécurité n’est plus une préoccupation majeure, témoignant des progrès accomplis.
Gaciyubwenge Célestin, enseignant à la retraite, de la colline Muzenga, appelle la Commission Vérité et Réconciliation à se différencier des commissions précédentes en franchissant une seconde étape. Au-delà de l’inscription et de l’affichage, il plaide pour un processus concret de réparation et d’indemnisation, sans oublier la résolution des conflits fonciers qui continuent de hanter le pays et d’opposer possesseurs et propriétaires.

Face à ces multiples attentes, la Commission Vérité et Réconciliation a déjà engagé des réformes structurelles: la mise en place de représentants provinciaux et le transfert des dossiers du ministère de la Justice vers la Commission. Ses commissaires appellent néanmoins à la patience, rappelant que « le travail de recherche de la vérité demande de la patience », comme l’a toujours souligné le Président de la Commission, l’Ambassadeur Pierre Claver Ndayicariye. Un message qui résonne comme un appel à la patience dans cette quête de vérité et de réconciliation nationale.