La journée fatidique de cette fin de semaine connait étrangement plusieurs événements. D’abord, à midi, le Président Micombero annonce le limogeage de tout son gouvernement. Il dira deux semaines après qu’il n’avait plus sa confiance. Ensuite, au niveau de l’armée, les soldats viennent de terminer leurs traditionnelles manœuvres. Ils ont reçu leur solde. Ils ont besoin de se détendre. En mairie de Bujumbura, comme à l’intérieur du pays, les militaires se préparent à une soirée dansante. Jusque-là, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles… Mais à vingt heures, patatras…ils se retrouvent face à une attaque meurtrière.
Willy NTAKARUTIMANA
Parmi les premières victimes, le Capitaine Kinyomvyi Dodolin Rock. Il est l’officier d’ordonnance du Chef de l’Etat. Son nom sera plus tard attribué au monument situé au rond-point, derrière la cathédrale, en allant vers Musaga. Des témoins de la Commission Vérité et Réconciliation ont parlé. Parmi eux, des officiers supérieurs de l’armée nationale de cette époque, et un membre de la famille Kinyomvyi.
Selon eux, la soirée dansante en préparation à Bujumbura n’a finalement pas eu lieu. Motif : Capitaine Kinyomvyi, envoyé par le Président Micombero pour constater les préparatifs, est tué sur place en même temps que son compagnon d’armes, Lieutenant Ndayikeza. Les deux faisaient partie de l’équipe chargée de préparer cette soirée à laquelle le Chef de l’Etat allait d’ailleurs participer.
Et tout à coup, un coup de pistolet est entendu sur la route menant au quartier Gasekebuye, dans un centre appelé « le centre d’accueil ». Les deux officiers ne tardent pas à vouloir savoir l’endroit exact où ce coup de feu a été entendu afin de gérer les conséquences. Ils vont jusqu’à 50 mètres du mess des officiers où la soirée dansante allait avoir lieu. Mais soudain, ils sont attaqués par une bande d’hommes armés de machettes et de gourdins.
Ils sont sévèrement battus. Le lieutenant Ndayikeza est tué sur le champ. Le Capitaine Kinyomvyi se défend courageusement, mais les assaillants ont raison de lui. Ils le blessent mortellement. Un service de secours d’évacue directement vers la clinique Prince Louis Rwagasore où il rend l’âme.
Toutes les sources de la CVR indiquent que c’est entre 19 heures et 20 heures que cette attaque a eu lieu. Le mess actuel des sous-officiers était encore la buvette des officiers. C’est une maison peinte en rouge ocre, située à droite de la rue qui mène vers l’ISCAM.
Le Capitaine Kinyomvyi est tué sur le champ. Ses assassins de sont servis de gourdins pour l’achever. Sa chemise est déchirée lors du combat. C’est un homme agonisant qui arrive dans les services d’urgence de la Clinique. L’officier meurt aussitôt, non sans avoir dit quelques mots à un collègue venu le voir.
C’est cet autre officier qui lui a rendu témoignage à la CVR. Les assaillants attaquent également dans la même soirée et au même endroit, un aumônier militaire, Mahwera Thomas, mais celui-ci réussit à échapper de justesse et se réfugie à la cathédrale Regina Mundi.
Le lendemain, dimanche le 30 avril, les grands séminaristes devaient aller chanter la messe à la cathédrale. Mais la sortie est annulée. Le rectorat leur dit qu’il y avait eu la veille beaucoup de tueries, et que l’Officier d’ordonnance du Président avait été tué. Lundi, le 1er mai, les cérémonies officielles de la fête du travail et des travailleurs sont annulées.
Mais des hommages officiels sont organisés à l’Hôpital Clinique Prince Louis Rwagasore où repose le corps du Capitaine Kinyomvyi. Beaucoup de gens y vont pour s’incliner devant sa dépouille mortelle. Capitaine Kinyomvyi Dodolin Rock, commandant-adjoint du camp para de Bujumbura et officier d’ordonnance du Président Micombero était un grand sportif, un homme de grande taille (1.98m), un gardien de but de l’équipe de football des militaires, un officier d’élite. Né en 1944, il est donc mort à 28 ans.
La ville de Bujumbura est curieusement calme
Malgré cette attaque du 29 avril, les témoins de la CVR affirment qu’il n’y avait aucun signe d’insécurité dans la ville de Bujumbura au cours de ce long weekend. Et donc, il était pratiquement difficile de connaître cette bande d’hommes armés, disent toujours les témoins.
Les raisons de cette attaque sont encore inconnues, mais certaines informations qui circulent disent que ces hommes voulaient attaquer la radio nationale du Burundi.
D’autres témoins réfutent cette version en disant qu’après l’attaque, il n’y avait pas d’autres mesures à prendre que de renforcer la garde à la radio nationale et presque tous les militaires étaient aux aguets.
De l’analyse de la CVR, il ressort que cet incident de l’assassinat de Kinyomvyi s’est passé exactement comme le Commandant Ndayahoze Martin, alors ministre de l’information, l’avait prédit dans un rapport envoyé au Président Micombero le 18 avril 1968. En effet, Ndayahoze avait écrit qu’un groupe d’extrémistes Batutsi dirigés par Simbananiye Arthémon organiseraient l’assassinat du Président Micombero et imputeraient cela aux Bahutu dans le but de trouver un prétexte pour les exterminer.
Certains anciens militaires ignorent encore aujourd’hui l’organisation de cette soirée dansante du 29 avril 1972, alors que d’autres ne savent même pas dans quelles circonstances elle avait été planifiée. Des témoins de la CVR ont déclaré n’avoir aucune idée de l’endroit où le corps du capitaine Kinyomvyi a été enterré. Mais d’autres affirment qu’il a été enterré avec les honneurs militaires au cimetière de Kanyosha.
Les mêmes témoins ont tenté d’expliquer à la CVR l’origine de ces hommes armés qui ont assassiné Capitaine Kinyomvyi. Les informations finalement obtenues par la CVR indiquent que le déclenchement du génocide contre les Bahutu a été caractérisé au cours de la première semaine par l’attaque menée par des bandes d’hommes armés baptisés « mayi-mulele ». Celles-ci étaient de connivence avec certains Bahutu entraînés par cette même bande armée dans le sud et le sud-ouest du Burundi, plus précisément dans les localités de Rumonge, Makamba et Nyanza-Lac.
Certains de ces combattants avaient emprunté les rues bordant le lac Tanganyika et les autres traversaient le lac à bord de bateaux en provenance de l’Ex-Zaïre. A Bujumbura, Arthémon Simbananiye, ministre des affaires étrangères, avait mené des contacts avec les leaders de ces mayi-mulele, dont le commandement était confié à Gaston Soumialot. Celui-ci avait séjourné à plusieurs reprises à Bujumbura au vu et au su des plus hautes autorités du Burundi, sans en être inquiété.