En janvier 2025 à Paris en France, la Commission Vérité et Réconciliation a recueilli le témoignage de Laurent Bukatari, ancien séminariste du petit séminaire de Mugera. Celui-ci a parlé du rôle héroïque de l’Abbé Pascal Nizigiyimana pendant le génocide de 1972. Ce prélat mututsi, alors Recteur du séminaire, a sauvé de nombreux élèves Bahutu et Batutsi en organisant des rondes nocturnes et en déjouant des listes de dénonciation. Retour sur un acte de bravoure qui transcende les divisions ethniques.
En 1972, le Burundi est plongé dans une période sombre. Le génocide contre les Bahutu frappe de plein fouet. Tout le pays est dans la terreur, y compris la région de Mugera où se trouve le petit séminaire. Bukatari Laurent, alors en année de rhétorique (équivalent de la terminale), se souvient de cette époque avec émotion. Les séminaristes se préparaient à passer leurs examens de fin d’études. Mais il régnait un climat de suspicion et de violence. Des coups de feu retentissaient régulièrement dans les collines environnantes et près de la rivière Ruvubu. Des massacres étaient en cours.
Image d’archives : Petit séminaire de Mugera, où l’Abbé Pascal Nizigiyimana était recteur en mai 1972. Cette période marque le début des violences et du génocide perpétré contre les Bahutu du Burundi, un événement tragique de l’histoire du pays.

Les listes de la mort, une menace imminente
À la veille des examens, un événement inquiétant a marqué les esprits des séminaristes. Un groupe d’individus a été aperçu en train de rédiger des listes dans les toilettes du séminaire. Selon Bukatari Laurent, ces listes, probablement destinées à identifier des élèves en fonction de leur appartenance ethnique, devaient être remises aux autorités militaires. L’un des rédacteurs de ces listes était le neveu du gouverneur militaire de Ngozi, Commandant Joseph Bizoza. Ce qui ajoutait une dimension politique et dangereuse à cette initiative.
Abbé Nizigiyimana, un gardien nocturne
Face à cette menace, l’Abbé Pascal Nizigiyimana, Recteur du séminaire et prélat mututsi, a pris des mesures extraordinaires pour protéger ses élèves. Modifiant son rythme de vie, il dormait le jour et veillait la nuit, effectuant des rondes pour s’assurer de la sécurité du séminaire. Son dévouement et sa vigilance ont permis d’éviter des enlèvements et des exécutions ciblées. Selon Bukatari Laurent, l’Abbé avait même qualifié le séminaire de « lieu extraordinaire », soulignant l’importance de préserver cet espace de paix et d’apprentissage malgré le chaos extérieur.

L’Abbé Pascal Nizigiyimana, décédé en 2024 à l’âge de plus de 80 ans après avoir pris sa retraite à la paroisse Saint Sacrément de Gitega (Ku Rukundo).
Grâce à son intervention, de nombreux élèves Bahutu ont été sauvés d’un sort tragique. En découvrant l’existence des listes et en organisant des rondes nocturnes, il a déjoué des plans de ceux qui cherchaient à semer la division et la mort à son établissement scolaire. Son action, guidée par un profond sens de l’humanité, a permis de transcender les clivages ethniques et de protéger des vies humaines innocentes.
Un héritage toujours vivant
En 2014, Abbé Pascal Nizigiyimana, alors à la retraite, résidait à la paroisse Saint Sacrement de Gitega (Ku Rukundo). Son histoire, longtemps restée dans l’ombre, resurgit aujourd’hui grâce au témoignage de Bukatari Laurent. Elle rappelle que, même dans les moments les plus sombres, des individus ont su incarner la résistance face à la barbarie. L’abbé Nizigiyimana incarne ainsi une figure de courage et d’espoir, dont l’héritage continue d’inspirer les générations futures.
Le récit de Bukatari Laurent, recueilli par la Commission Vérité et Réconciliation, met en lumière un héros méconnu de l’histoire du Burundi, un sauveteur. L’abbé Pascal Nizigiyimana, par son courage et son humanité, a su protéger des vies et préserver l’espoir en des temps meilleurs. Son action reste un rappel puissant que, même dans l’obscurité, la lumière de la compassion peut triompher.