Face aux séquelles encore béantes du génocide de 1972-1973, la Commission Vérité et Réconciliation a lancé un chantier ambitieux pour résoudre la douloureuse question des terres et biens spoliés. Lors d’une conférence tenue le 2 mai au lycée Scheppers de Nyakabiga, son président, l’Ambassadeur Pierre Claver Ndayicariye, a annoncé la reprise des dossiers gelés de la Commission Nationale Terres et autres Biens (CNTB). Un nouveau chapitre s’ouvre dans le processus de guérison nationale.
L’atmosphère était chargée d’émotion et d’attentes ce vendredi 2 mai 2025 dans l’enceinte du lycée Scheppers. Des représentants d’institutions étatiques, des parlementaires, des administratifs, des dirigeants religieux et des associations de victimes s’étaient rassemblés pour entendre la Commission Vérité et Réconciliation détailler sa nouvelle mission. « Nous ne sommes pas un mécanisme de justice classique mais de justice transitionnelle », a souligné l’emblée de l’Ambassadeur Ndayicariye, définissant clairement le cadre d’action de la commission.
Des archives accablantes sur les spoliations systématiques
La projection d’une présentation PowerPoint a révélé l’ampleur du système organisé de spoliation mis en place pendant le génocide de 1972-1973. Selon les Commissaires Laurent Kavakure et Denise Sindokotse, les documents d’archives démontrent une coordination sans équivoque entre les pouvoirs législatifs, exécutifs et administratifs pour orchestrer la saisie des biens des victimes. « Ces archives racontent l’histoire d’un pillage institutionnalisé », a commenté l’Ambassadeur Kavakure, tandis que les images de documents officiels (archives) défilaient sur l’écran.

Les victimes entre espoir et scepticisme
Dès l’ouverture des échanges, les représentants des familles de victimes ont exprimé leurs préoccupations. Beaucoup s’inquiètent du tri des dossiers laissés en suspens par la Commission Nationale Terres et autres Biens (CNTB) . « Nos biens restent aux mains de personnes intouchables », a témoigné un rescapé du génocide de 1972, la voix désespérée. D’autres, revenus d’exil, découvrent que leurs propriétés sont toujours occupées malgré des procédures pénales entamées il y’a des années. La question des « titres frauduleux » a particulièrement cristallisé les tensions, certains détenteurs actuels de biens prétendant à une propriété légitime sans documentation complète.

Une réorganisation face à l’immensité de la tâche
Pour relever ce défi colossal, la Commission Vérité et Réconciliation a déployé une nouvelle stratégie territoriale. « Grâce à l’appui financier de l’État, nous venons de mettre en place des équipes provinciales », a annoncé le président Ndayicariye. Ces représentants locaux seront au cœur du dispositif d’enquête, travaillant en synergie avec la commission centrale. Cette décentralisation vise à accélérer le traitement des dossiers tout en assurant une présence de proximité. Face aux craintes concernant les effectifs insuffisants, le président a assuré que la commission s’adaptait à l’ampleur de sa mission.
De la médiation à la réconciliation : un chemin tracé
« La vérité est la porte d’entrée de la réconciliation », a martelé l’Ambassadeur Ndayicariye en conclusion de cette journée historique. Contrairement aux tribunaux traditionnels qui opposent les parties, la Commission Vérité et Réconciliation entend réunir les protagonistes autour d’une vérité partagée. Le message est clair : pas de délais ni de forclusions dans la quête de justice transitionnelle, mais une approche progressive qui commence par l’établissement des faits. L’indemnisation, la réparation et la réhabilitation des victimes ne viendront qu’après cette étape cruciale de vérité.

-Amb. Pierre Claver Ndayicariye
Dans un pays encore marqué par les cicatrices de multiples crises, cette initiative de la Commission Vérité et Réconciliation représente un tournant majeur. En s’attaquant frontalement à la question épineuse des biens spoliés, elle touche à l’une des séquelles les plus concrètes et persistantes du génocide. L’avertissement contre toute tentative de corruption du processus montre la détermination d’une commission résolue à bâtir une réconciliation sur des fondations solides et transparentes. La Commission Vérité et Réconciliation s’engage ainsi sur un chemin difficile mais nécessaire : celui où la vérité, aussi douloureuse soit-elle, devient le socle d’un avenir partagé.